Exposition : The Family of Man, Château de Clervaux, Luxembourg

Il y a quelques semaines, Grammartical enfilait sa doudoune direction le fin fond du Luxembourg pour découvrir l’exposition photographique la plus célèbre de tous les temps, The Family of Man.

L’histoire d’une exposition légendaire …

Si comme moi vous pensiez que la seule célébrité originaire du Grand-Duché était Stéphane Bern, détrompez-vous. The Family of Man est probablement l’exposition photographique la plus vue de tous les temps, un morceau d’Histoire à elle seule grâce à un homme : Edward Steichen (1879-1973). Luxembourgeois émigré aux États-Unis, photographe prolifique, il est surtout connu pour ses travaux de commissariat d’exposition en tant que directeur du département photographie du MoMA (Museum of Modern Art) à New-York dans les années 50.

Déjà fort de ses expériences de curateur lors d’expositions de grande envergure pour le MoMA (Road to Victory…) Steichen avait la secrète et lourde ambition de créer une exposition humaniste et universelle. Dès 1951, ses collaborateurs et lui commencent à rassembler un fond d’images monumental, récolté suite à un appel aux images lancé aux professionnels et aux amateurs. En 1955, après 4 ans de recherche et le tri de 4 millions de photographies envoyées du monde entier, la première présentation de The Family of Man a lieu au MoMA avant de débuter une tournée internationale durant 7ans, parcourant tous les continents et rassemblant plus de 10 millions de spectateurs.

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Exposition The Family of Man, Château de Clervaux  © CNA, Romain Girtgen

Au début des années 60, Steichen retourne au Luxembourg. Il souhaite léguer l’exposition à son pays natal et qu’elle soit exposée de façon permanente au Château de Clervaux. En 1966, la dernière version de l’exposition (la version dite européenne) est offerte au Grand-Duché, et sera exposée partiellement jusqu’en 1989 et le lancement d’une grande campagne de restauration des photographies. En 1994, l’exposition permanente est mise en place. En 2003, elle est inscrite dans le registre de la Mémoire du Monde de l’Unesco.

La légende est écrite…

Une grande histoire de l’Homme

The Family of Man représente 503 photographies de 273 auteurs différents (célèbres ou anonymes) provenant de 68 pays, dont certaines œuvres cultes de Robert Doisneau, Robert Capa, Henri Cartier-Bresson ou Dorothea Lange pour ne citer qu’eux. L’exposition est articulée autour de 37 thématiques liées à la vie de l’Homme, de la naissance à la mort, en passant par le travail, la danse ou des sentiments comme la solitude. Les tirages sont les originaux de 1955, en noir et blanc, aux formats divers collés sur des panneaux en bois. La scénographie est celle imaginée par Steichen, immersive, avec des jeux de prise de vue, la déconstruction de l’espace et une variation des formats. Une démarche quasi archéologique pour nous faire vivre l’expérience des premiers visiteurs de l’exposition au MoMA.

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Eugene Harris, Peruvian Flute Player, exposée dans The Family of Man

The Family of Man c’est un message de paix et d’égalité entre tous les hommes créé dans un contexte de Guerre Froide et qui aurait traversé le temps. L’impact des images n’est évidemment pas le même aujourd’hui. À l’époque de sa création, l’énorme entreprise de Steichen a autant émerveillé qu’elle n’a essuyé de critiques (notamment Roland Barthes dans ses Mythologies 1.). On reprocha à Steichen son « occidentalo centrisme » et sa vision quasi colonialiste du reste du monde, la décontextualisation des œuvres et la transformation de leur message et la promotion de l’Amérique et de son mode de vie à l’échelle internationale, notamment par la réutilisation de photographies de presse (2.). Mais la portée symbolique de The Family of Man autant que ses critiques sont des témoins de leur époque et ne doivent pas altérer notre jugement face à ce fonds photographique d’une qualité exceptionnelle.

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© CNA, Romain Girtgen

La force de la collection rassemblée par Steichen est indéniable. Certaines photographies sont déconcertantes de grâce, de spontanéité. Des instants de vie capturés qui, à mes yeux, explicitent véritablement les intentions de Steichen. L’exposition n’est pas universelle (la plupart des photos présentent des occidentaux) mais elle est profondément humaniste. Une succession d’expressions et d’émotions qui bouleversent toujours aujourd’hui, nous renvoyant à notre propre vécu, à notre propre humanité. La scénographie nous laisse la liberté de vaquer, de flâner, d’explorer à notre rythme les 503 photographies, de pouvoir se retourner et de tomber sur un chef d’œuvre, ou de traverser de manière concise cette grande histoire de l’Homme. Une chose est sûre, on ne ressort pas comme on est entré de cette exposition.

Mais aussi

Vous l’aurez compris, The Family of Man est une exposition à voir au moins une fois, tant pour son histoire, son cadre (c’est joli le Château de Clervaux) que les photographies exceptionnelles dont elle regorge. Et tant qu’à être dans le coin, passez donc voir The Bitter Years, autre exposition léguée par Steichen au Luxembourg qui regroupe des photographies sur la Grande Dépression qui sévit aux État-Unis dans les années 30, au Château d’Eau de Dudelange.

Lucie T.

 

  1. Barthes, Roland, La grande famille des hommes, in ID., Mythologies, Paris, Le Seuil, 1970, p. 806
  2.  Dupuis, Claude, «The Family of Man»: réflexions autour des usages et de la patrimonialisation d’une exposition photographique controversée : https://diacronie.revues.org/1582
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