La visite Lasco Project au Palais de Tokyo

Tous les dimanches à 15h, le Palais de Tokyo propose une visite guidée d’une heure dans les antres du bâtiment pour explorer les œuvres cachées du Lasco Project.

Je ne connais rien au graffiti et à la culture urbaine, je n’avais jamais entendu parler du Lasco Project, mais le côté «  exposition cachée » me séduit. Alors dimanche pluvieux dimanche heureux : direction le Palais de Tokyo pour une heure de visite des sous-sols où se déploient des centaines d’œuvres de graffeurs français et internationaux.

Nous sommes une vingtaine à participer, guidés par Luca, un médiateur passionnant et passionné. On commence par un petit brief général sur le Palais de Tokyo : un point historique, architectural et curatorial. Intéressant mais je suis pressée qu’on passe au vif du sujet. Nous descendons au sous-sol et par l’entremise d’une porte de service nous nous enfonçons dans les couloirs habituellement réservés à la technique. Là débute un petit rituel attendrissant : notre guide contacte via talkie-walkie la régie pour demander l’autorisation d’ouvrir les énormes portes blindées qui délimitent les différents espaces. Je me sens privilégiée de découvrir ce monde secret. Nous accédons à la première salle, entièrement recouverte de graffitis, de blazes, de dessins, de collages qui se sont stratifiés au fil des années. C’est étourdissant, le côté vieux couloir d’égout te donne l’impression de plonger au cœur même de l’underground.

vue de l'exposition Lek, Sowat et Dem 189
Vue de l’exposition Lek, Sowat et Dem189, Palais de Tokyo. Photo : Nibor Reiluos & Thias

Le Lasco Project se met en place en 2012. Lors des énormes travaux de rénovation qui ont occupé et tenu fermé le Palais de Tokyo entre 2002 et 2012, les deux artistes graffeurs parisiens Lek et Sowat commencent à infiltrer clandestinement (illégalement) les souterrains du Palais en se faufilant dans les conduits d’aération. Ils y laissent des traces : leur blaze, des mots, des marques de leur passage, qui se font rapidement remarquer. La direction décide de ne pas brider les squatteurs mais, au contraire, de leur libérer un espace officiel pour qu’ils y invitent d’autres graffeurs du monde entier (en France, on aime bien que ce soit institutionnel) et créent des expositions. Ainsi naquit le Lasco Project, qui fait évidemment référence aux grottes de Lascaux : la sinuosité et la répartition des espaces en salle, l’ambiance sombre et humide, la notion de trace et de passage. Le blaze de Sowat est comparé à la fameuse empreinte de main dans la grotte rupestre. J’aime bien cette idée. Apposer la marque de son existence.

On nous explique ce qu’est le graff : son histoire, ses enjeux, mais aussi ses concepts primordiaux. L’écriture, le style, l’urgence, la vie, exposer l’invisible, jouer avec la légalité. Devant l’immensité du travail des artistes nous avançons intimidés, éblouis par la maestria de certaines œuvres et par l’étonnante osmose qui se dégage de l’ensemble. Tous les recoins sont habités, animés. La visite se focalise sur le travail de sept artistes qui permet d’explorer les différentes facettes de l’art urbain. Des initiateurs Lek, Sowat puis Dem189, nous passons à deux murs qui se font face : celui du graffeur « radical » Azyle, connu pour ses interventions punitives sur les rames de la RATP et le procès qui en a suivi, et celui de Philippe Baudelocque, au parcours artistique plus conventionnel. Deux univers se confrontent entre le style hard et aliénant d’Azyle qui juxtapose sa signature jusqu’à l’étourdissement, et le dessin galactique et contemplatif de Baudelocque. L’artiste vandale en regard de l’officiel, juste pour comparer. Mais pas pour séparer, car c’est bien Azyle qui a invité Baudelocque à participer au projet.

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Vue de la fresque de Cleon Peterson, Palais de Tokyo. Photo : Palais de Tokyo

Nous passons après dans un long couloir où se déploie l’immense fresque en noir et blanc de Cleon Peterson. L’étroitesse de l’espace ne nous autorise aucun recul sur l’œuvre, nous sommes jetés dans le déchaînement de corps entremêlés et dans la violence du dessin, sujet primordial chez l’artiste américain. La réalisation est superbe, l’effet est saisissant. Dans ce même couloir, « Quinze mots écrits par Skki© avec une bombe de peinture bleue en seulement soixante seconde », graffiti conceptuel qui me replonge directement dans mes cours d’histoire de l’art. Le graffeur Skki© rend hommage à l’artiste conceptuel Joseph Kosuth mais aussi à Marcel Duchamp et à Jean-Michel Basquiat (le sigle copyright suivant son nom). Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Le graffiti découle de ce questionnement, il en est l’héritier.

Nous passons devant les signatures d’Utah et Ether, les « Bonnie & Clyde » du graff, recherchés par la police américaine, voguant de continent en continent pour exercer leur art « vandale ». La visite se termine par les œuvres de l’artiste toulousain Dran et du portugais Vhils. Dran réalise un autoportrait inquiétant où il déploie un univers imaginaire intérieur peuplé de personnages de dessins animés et d’animaux, sans lever la bombe de peinture, dans un unique geste, comme on le ferait avec un crayon pour un dessin automatique. Le portrait de Vhils est stupéfiant, réalisé au marteau piqueur, il apparaît en négatif dans le mur noirci. D’abord discret, flou, il s’intensifie et se précise lorsqu’on le regarde vraiment et ressort en 3D lorsqu’on le photographie. L’artiste est connu pour son travail sur l’invisible, il tire le portrait des sans-abris des villes, de ceux que l’on ne voit plus ou que l’on ne veut pas voir en les encrant dans l’espace urbain. Le résultat est stupéfiant, je resterai bien des heures à le contempler mais il faut déjà remonter à la surface, au réel.

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Vue du portrait de Vhils, Palais de Tokyo. Photo : Palais de Tokyo

Petit arrêt devant une vidéo qui présente l’œuvre de la superstar JR et des brésiliens Os Gemeos dans les sous-sols du Palais… L’œuvre semble fabuleuse mais est inaccessible. Je demande timidement au guide s’il y a beaucoup de salles qui ne sont pas visitées/visitables. La réponse est claire, Nous n’avons parcouru qu’une infime partie du Lasco Project, faute de temps et de sécurisation des salles. Dommage, je finis la visite un tantinet frustrée, j’aurais aimé me perdre dans les méandres du bâtiment, entourée des « signes » des artistes.

 

Lucie T.

 

Infos pratiques

Palais de Tokyo, 13 Avenue du Président Wilson, 75116 Paris
Ouvert tous les jours de 12h à minuit (fermeture le mardi)

Visites Lasco Project :
Tous les jours à 12h30 et 22h – durée : 30min
Gratuit sur présentation du billet d’entrée aux expositions, sans réservation préalable
Les dimanches à 15h – durée : 1h
2€ en plus du billet d’entrée aux expositions, sur réservation

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